On fyren i an sharük ansum (2ième partie) (1 comment)
« Que se ferment les portes de la Cour Impériale ! »
Des grincements retentirent dans le Palais. Les gardes posèrent les loquets à l'extérieur de la Cour Impériale. Personne ne sortirait de cette salle avant que la décision ne soit prise, dussent-ils jeûner après avoir épuisé les maigres rations de nourriture prévues à cet effet.
Dios Apotheps, celle qui avait été élue par le peuple après l'assassinat par le poison du celikaos Axies, regarda les celiakos debout, alignés, devant elle. Elle inspira longuement. Jamais elle n'aurait cru être projetée ainsi au-devant de la scène, et encore moins pour la question soumise à la décision des Savants* de l'Empire. Et pourtant, tout allait se dérouler sous sa responsabilité... Elle croisa le regard d'Abycus Zekops, la soutenant silencieusement, mais aussi celui de celiakos totalement hostiles.
« Allumez les flammes. Honneur. Justice. Discipline... »
Les gardes présents allumèrent une à une les petites reproductions des flammes que l'on trouve dans les Dunes Impériales, symboles tangibles des Quatre Pilliers.
« ...Vérité. »
La dernière flamme s'éleva, au coin nord de la salle. Régence, ou pas de Régence, les débats promettaient d'être rudes, voire houleux. Elle se fit l'image d'une bande de charognards se disputant le cadavre d'un Shalah, abandonné au souffle du désert. Qu'étaient-ils, sinon ceux qui allaient décider si sharükos allait être dépouillé de ce pour quoi il a toujours vécu ? Elle se reprit. Aujourd'hui serait le jour où ils décideraient si l'oisillon était apte à prendre son envol, pour le salut de l'oiseau-père. Rien de plus.
***
« Folie que tout ceci, folie que cette mascarade ! Dexton ne peut mourir, terrassé par une maladie, en devenant infirme, alors qu'il a érigé l'Empire après la mort de Leanon !
- Peuh, Leanon n'était qu'une homine qui s'est trouvée là au bon moment et qui n'a jamais rien fait de mieux que de ne pas avoir d'enfants...
- Comment oses-tu souiller la mémoire de la Régente ! Espèce de Matis ! »
Assise, Dios Apotheps sentait une céphalée poindre, tandis que deux celiakos se disputaient et salissaient tout ce dont ils parlaient. Voilà déjà deux jours qu'ils n'avaient pu dormir, et la nourriture bien trop grasse lui donnait la nausée. Non loin d'elle, Abycus Zekops semblait être plongé en pleines réflexions. Certains avaient encore l'air hagard, assomés par la sombreur de la nouvelle, d'autres songeaient déjà à quitter leurs fonctions, ne se voyant pas verser leur sang pour une nouvelle régence.
Lasse de tout ceci, elle se releva, se sentant vaciller comme une flamme au vent. Les Sénateurs agenouillés se levèrent et le silence retomba dans la Cour Impériale. La discipline n'était plus une chose imposée chez les celiakos, elle était comme une partie d'eux-mêmes.
« Frères,
Je sais ô combien cela est une tâche pénible, pour certains plus que pour d'autres. Je sais aussi qu'il vous en coûte d'être dirigés par la plus jeune d'entre vous. Je ne suis pas aveugle, et croyez-moi, certains ici auraient eu plus de mérite que moi à diriger cette épineuse assemblée exceptionnelle. »
Silence dans la salle. Chaque homin présent était attentif, du plus vieux Sénateur au plus jeune garde. La scène paraît irréelle, même encore plus quand je couche ces mots sur le velin. Cela s'est-il vraiment passé de la sorte ? Ma mémoire me jouerait-elle des tours ? Quoi qu'il en soit, elle reprit.
« Notre Empereur, Dexton, n'est pas mort. Il n'est ni mort, ni consumé. Gardons cela en tête. Nous ne parlons pas de retirer les pouvoirs à l'Empereur, mais de donner à l'Empire une tête apte, capable et qualifiée pour redresser la situation qui est fâcheuse à l'heure actuelle. Nous savons, et vous le savez tous, de source sûre, que les Matis ne comptent pas rester inactifs s'ils apprennent que Dexton est malade. Vous savez autant que moi ce qu'il adviendrait de l'Empire si nous n'avions personne pour nous gouverner, tous, en cas de guerre. Prier serait tellement dérisoire ... »
Certaines personnes se raclèrent bruyamment la gorge, mais personne ne troubla le discours de la Sénatrice.
« Pour beaucoup, sharükos était, et reste, cette puissance de la nature, cet homin au regard brûlant qui vous transperce comme si vous n'étiez qu'un fétu d'herbe sèche au vent du désert, capable de vous arracher le coeur si l'envie lui en prend. C'est ce même homin qui, après maintes réflexions, nous a tous nommés ici, à la Cour Impériale. C'est cette personne avec qui nous avons partagé le pain, la viande et l'alcool, sans nous soucier de l'instant macabre où tout s'abattrait sur l'Empire. C'est aussi cette personne qui, malade à en mourir, aura tenu les rênes de l'Empire, voyant chaque jour un peu plus son corps se flétrir, son esprit vagabonder.
Aujourd'hui, le Dexton qui nous a toujours gouverné, châtié, protégé, aimé, est enfermé dans son esprit et dans un corps malhabile qui ne peut plus être autonome. Il ne peut plus nous diriger. Il le pourra peut-être, s'il trouve la voie de la guérison. Et il la trouvera, mes frères, je le sais, car c'est sharükos ! »
Des lueurs d'espoir naquirent dans les yeux éteints de certains celiakos, brièvement.
« Nous ne pouvons attendre que le Destin décide, mes frères, car nous avons besoin d'être guidés. L'Impératrice a reconnu devant nous sa plus grande honte, et la raison de son silence. Comme peu ici le savent, l'accouchement de Lykos n'a pas été une épreuve sans risque pour Xania, et depuis, elle ne peut pas marcher sinon avec une canne. Quel peuple accepterait sans huer, sans railler, une homine infirme ? Xania le sait. Mais elle sait aussi que Lykos est aimé par les Patriotes, et que de toute manière, il est appelé à régner, prendre homine et assurer la descendance de la lignée de Cerakos II, que ce soit maintenant, ou demain.
A l'heure où nous discutons, le Peuple sait déjà ce qui se trame dans le Palais. Lykos et Xania ont tenu à ce que sachent les Patriotes, afin qu'ils ne prennent pas notre décision finale pour un coup en traître, car la réponse que nous donnerons devra être ce sur quoi nous sommes censés statuer : L'Empire doit-il être mis sous la Régence de l'Oisillon, ou devons-nous continuer ainsi jusqu'à ce que l'Empire explose ? »
Les mots restèrent en suspens, le temps sembla s'arrêter de manière brutale. Les mots de la Vérité avaient retenti, et tous en accusaient le souffle. Abycus Zekops leva une main osseuse, demandant la parole à Dios, qui la lui accorda. Ses mots furent simples :
« Trêve d'inutiles paroles à présent. Votons, le Peuple attend. »
Extrait de l'ouvrage "Journées au Sénat, nuits aux bains, Pyr la Brûlante"
Chapitre "La tête de la Régence", écrit par Icalus Detreus, en 2551 (JY).
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_Note : Le titre signifie "Quatre feux et un Empire sont liés".
* : « Savant » était le nom historique donné aux Sénateurs aux débuts du Sénat Impérial.
On fyren i an sharük ansum
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