Première partie¶
Yrkanis-Karan se tenait face à nous, droit et fier, rayonnant de toute sa grandeur. D’un regard insondable, il balaya ses troupes. Son visage cachait son anxiété à la perfection, sa sérénité affichée inspirait confiance.
Comment le Karan faisait-il ? Je me sentais si faible à côté de lui, insignifiant, tremblant dans mon armure. Les rumeurs disaient que l’armée Fyros était beaucoup plus grande que la nôtre, que nous n’avions aucune chance de victoire. Malgré ma foi inébranlable en notre Roi, cela faisait quelques jours que je doutais... Néanmoins, jamais je n’aurais imaginé ce qui allait arriver…
« Sujet ! Soldats ! Le jour tant attendu est enfin arrivé ! »
Le Karan se retourna brusquement, pointant son bras devant nous.
« Voici pourquoi nous sommes là ! A l’ouest s’étend l’Empire des barbares. »
« Ces adorateurs du démon nous narguent depuis trop longtemps : ils se déplacent librement sur nos terres et vont même jusqu'à piller nos ressources et tuer mes Sujets ! Mais cet affront n'a que trop duré. Aujourd’hui, nous allons leur montrer que personne ne peut se jouer impunément des Matis ! Aujourd’hui, Thesos brûlera ! »
« J’ai besoin de courageux volontaires pour cette tâche des plus délicates ! »
Je regardais discrètement autour de moi. Personne ne disait mot, attendant tous que d’autres se désignent. Quant à moi, j’étais trop terrifié, trop peu confiant. Mes épaules n’auraient jamais pu porter une telle responsabilité… A ma grand surprise c’est le Karin Stevano qui prit la parole.
« J’irai Père, vous pouvez compter sur moi. »
Yrkanis regarda son fils, comme étonné. L’annonce imprévue du Prince eut pour effet de rassurer le reste de l’armée. Deux soldats sortirent donc des rangs, se proposant à leur tour.
« Bien ! Puisse Jena vous protéger. Cette tâche est capitale ! »
Le Karan scruta une dernière fois son armée en silence, se retourna, puis avança vers l’ouest. Stevano fut le premier à lui emboiter le pas, suivi du reste des Matis. Nous marchions en silence, le vent brûlant battait nos visages asséchés. Nous pouvions déjà apercevoir la tour de garde de Thesos au loin, projetant son ombre sur la sciure du désert.
Soudainement, le Karan s’arrêta et leva la main pour faire signe de ne plus continuer. Un nuage de sciure apparut à l’horizon. Le sol commençait à trembler. Levant la tête, j’entendis les cris des guerriers fyros. Ils arrivaient.
Je regardais autour de moi, lisant l'impatience d'en découdre, mêlée à une légère incertitude sur le visage de mes frères. Seul Yrkanis et le Karin restaient impassibles. Qu’ils étaient beaux, baignés de toute cette lumière ! Ils semblaient intouchables, immortels...
Le Karan dégaina l’emblématique pique royale et la pointa vers le ciel.
« Nulle peur en nous, Matis, nul doute ! Votre Karan est avec vous, Jena est avec nous ! Soyez forts. Soyez fiers ! Jena Aiye ! », cria-il.
Autour de moi tous étaient suspendus aux lèvres d’Yrkanis. Nous serrions nos armes, puisant notre force dans ce discours du Karan. Les levant vers le ciel, nous nous mimes tous à hurler en cœur :
« Jena Aiye ! Jena Aiye ! Jena Aiye ! »
Les Fyros avançaient au rythme des tambours et des chants de guerre. Les rumeurs étaient donc fondées, leur armée surpassait largement la nôtre. La peur recommençait à m’envahir. Peut être était-il encore temps de fuir ? Maudissant ma lâcheté, je serrais ma hache de toute mes forces. Non, jamais. Jamais je n’abandonnerai. Si je devais mourir aujourd’hui, ce serait fièrement au côté des Matis. Et non pas en tant que lâche !
Arrivée à cent mètres de nous, l’armée des barbares s’arrêta. Un Fyros se détacha du groupe et marcha dans notre direction. Il tenait dans sa main une énorme épée enflammée. C’était donc lui Dexton ? L’Empereur des Fyros ? Quel piètre chef. Il ne dégageait rien comparé à l’aura magnifique de notre Karan.
« Sujets ! Soldats ! L’Empereur Dexton a accepté une dernière Rencontre. J’irais donc seul, n’attaquez en aucun cas avant mon ordre. Nous ne déclencherons pas les hostilités lâchement mais dans l’honneur et la lumière de Jena ! »
Je regardais mon Roi s’avancer vers les Fyros. Quel courage, quelle assurance ! J’étais prêt à mourir pour lui, j’étais prêt à tout.
Le Karan s’arrêta devant Dexton, le regardant des pieds à la tête, comme pour le jauger.
« Empereur Dexton ! Nous nous connaissons depuis longtemps, nous avons appris à nous connaître et à respecter nos rivalités. Au nom de ce respect qui est cher à Jena je te le demande une dernière fois, es-tu prêt à reconnaître les fautes de ton peuple et à sacrifier ton orgueil pour la paix et la liberté ? »
« Je n’ai que faire des mots de celui qui veut envahir le désert ! Tu payeras le prix du sang pour cette attaque ! », cria Dexton en frappant le premier coup.
« Jena te fera payer ta vanité, Empereur Dexton ! », rétorqua Yrkanis, tout en parant l'attaque de sa pique.
Le moment était enfin arrivé : le combat avait commencé. Face à nous, les premiers barbares s'élancèrent. Dans mon esprit embrouillé, tout semblait fonctionner au ralenti. Je m’élançai à mon tour, privé de toute pensée, m'écriant de toute mes forces :
« Jena Aiye ! Jena Aiye ! YRKANIS AIYE ! »
Extraits du journal de Vito Bendi, un militaire matis.