Gagnants du concours d'Atysoël 2009 !
Le conte du Noël gourmand (Valkin, 1ère Place)¶
Il y a environ vingt années, deux guildes qui se vouaient jusqu'alors une haine infinie, arrivèrent enfin à trouver la paix.
Le baron matis Kaldon et le chef des traqueurs Kuon Fu-Jin s'affrontaient depuis si longtemps qu'ils en avaient presque oublié la raison pour laquelle ils le faisaient.
Mais une trêve pu être conclue lorsque d'un geste noble, Kuon Fu-Jin porta secours à Madini, la fille du baron, en détresse au milieu des primes racines.
Le baron, reconnaissant, promit aux traqueurs que jamais plus ils ne lutteraient les uns contre les autres dans d'atroces batailles sanglantes.
Puis l'hiver arriva et les fêtes de Noël avec lui.
Le baron Kaldon jugea bon de faire envoyer un immense convoi de cadeaux à Kuon Fu-Jin et à ses disciples afin de les remercier d'avoir sauvé sa chère et tendre fille.
Les caravanes partirent donc au petit matin et l'on décida de prendre le chemin le plus sûr pour atteindre la jungle en traversant les charmantes contrées des lacs.
Mais c'était sans compter sur la mesquinerie des trykers.
En effet, de vils brigands en quête de richesses surgirent de nulle part et prirent d'assaut le convoi.
Les gardes matis désemparés tentèrent en vain de leur expliquer que tous ces cadeaux étaient destinés au traqueur Kuon Fu-Jin, mais les trykers avides ne voulurent rien entendre et emportèrent avec eux la précieuse cargaison.
De retour à leur campement, les pillards entreprirent d'ouvrir leur beau butin et découvrirent un assortiment de friandises toutes aussi appétissantes les unes que les autres.
Si leurs bourses demeurèrent vide, leurs estomacs par contre furent bien rempli par de savoureuses confiseries matis d'un goût à la fois raffiné et exquis.
Mais au lendemain de Noël, un guetteur vint inspecter le campement qu'il trouva étrangement silencieux et fut surpris de constater qu'il était parsemé des cadavres de toute la horde.
Le baron avait empoisonné chaque friandise.
La morale de cette histoire est qu'il ne faut jamais ouvrir un cadeau qui ne nous est pas destiné... Surtout s'il provient d'un matis !
La légende du Labyrinthe des Lutins (Nymphéa, 2ième place)¶
« Approchez, approchez ! Et installez-vous autour du feu ! Car c’est sous les étoiles que je vais vous conter ma légende préférée : celle du Labyrinthe des Lutins…
Peu après l’installation des Matis sur les Nouvelles Terres et la création de la ville d’Yrkanis, Ciello Socho, cartographe royal de Yasson, partit explorer les contrées du nouveau Royaume. Le blanc manteau de l’hiver recouvrait déjà le sol de son immensité, rendant les voyages plus périlleux encore, mais rien n’aurait pu retarder le départ du jeune Matis. Après des jours et des nuits d’une marche épuisante, il atteignit une zone totalement inconnue et, malgré ses précautions, ne tarda pas à s’y perdre. Il faut dire que cette région était un véritable dédale, et le tracé hasardeux de ses chemins relevait davantage d’un écheveau emmêlé que de ceux d’une contrée civilisée.
Bientôt, l’inévitable arriva : Ciello se retrouva encerclé par une bande de gingos, visiblement fort peu impressionnés par sa magnifique pique délicatement ouvragée. La meute affamée se jeta sur lui dans des hurlements saisissants, et il ne dut son salut qu’à l’arrivée impromptue d’un groupe de trykers gesticulant et criant, qui jetèrent sur les bêtes incrédules des nuées de boules de neige.
C’est blessé et à demi conscient que le jeune Matis fut transporté à travers le labyrinthe naturel jusqu’à un genre de petit village à demi enfoui sous la neige. Là, il fut soigné et nourri par ceux du petit peuple et, grâce à leurs soins attentionnés, il put se lever après quelques jours seulement.
Il rencontra alors le maître du village, un très vieux Matis à la longue barbe blanche, tout de rouge et blanc vêtu. Autour de lui grouillaient des trykers portant tous le même chapeau de tissu rouge orné d’un gros pompon. Le Matis était visiblement un riche commerçant, car les trykers à son service s’empressaient de fabriquer pour lui les choses les plus belles qui soit, du délicat tissu brodé au petit flacon d’un parfum des plus subtils, en passant par l’épée au manche en bois précieux, ciselé avec délicatesse.
Ciello tenta vainement de convaincre cet étrange homin de venir habiter Yrkanis et de se mettre au service du Roi Yasson. Celui que les trykers du village appelaient « Ser Atysoël » se contentait de sourire et de répéter que sa place était ici et nulle part ailleurs.
Quelques jours plus tard, Ciello Socho prépara son balluchon, et fit ses adieux à Ser Atysoël et à la troupe de lutins joyeux qui travaillaient pour lui. Il fut conduit hors du labyrinthe sur un traîneau tiré par quatre caprynis, sous la neige tombant à gros flocons. Les yeux à demi fermés à cause de la neige cinglant son visage, Ciello ne vit pas le traîneau s’élever dans les airs et traverser en ligne droite la région. Quoique… peut-être le vit-il, mais sa raison l’empêcha de le croire…
Ciello Socho, le cartographe royal, baptisa cette nouvelle région « Le Labyrinthe des Lutins », en souvenir des trykers qui l’avaient sauvés là-bas. Mais jamais il ne parla à personne de Ser Atysoël et de son mystérieux village surgi de nulle part… Qui l’aurait cru ?
L'Esprit de Noël (Tomelin, 3ième place)¶
Un vieux tryker, un bonnet défraîchi sur la tête, tellement élimé par les années de Jena qu'on distinguait les cheveux gris sous le tissu, alignait tranquillement des paires de bottes de tailles différentes devant un des hublots de son appartement. Il sifflotait, le cœur empli de joie en cette nuit particulière. L'appartement était étrangement calme à part les ronflements sortant des hamacs dans les pièces d'à côté.
Il s'installa confortablement sur un des sofas, se versa une rasade de psykopinthe et, contrairement à ses habitudes, sirota son verre tranquillement, repensant à une certaine nuit...
La neige tombait sur la jungle, tantôt aussi douce qu'une caresse, tantôt aussi cinglante que la main d'une homine offensée.
Tomelin cligna des yeux sous l'action conjuguée des flocons qui battaient son visage selon les humeurs du vent et du voile d'une éclatante blancheur posée sur l'humus.
Il venait d'arriver dans le Pays Malade et le voyage par le téléporteur karavan le mettait toujours autant de mauvaise humeur.
- « Par les tétons glacés de Jena, toujours aussi froids, impersonnels ces sauts... », grommela-t-il, un nuage de vapeur sortant de la bouche.
Il baissa les yeux et remarqua devant lui, Varixia qui le regardait étrangement, la tête légèrement penchée sur le côté. Il sentait que le cerveau de sa fille était en train de s'emballer et que des idées inattendues et déconcertantes allaient débouler d'ici peu.
- « Popa ? »
- « Oy la Ptiote ? », tout en pensant que c'était parti.
- « Ch'est quoi tétons ? » demanda-t-elle en parfaite gamine sauvage ingénue.
Les ennuis commençaient... et les questions étaient toujours... surprenantes.
- « Hé biiieeeen... les tétons... les tétooonns... c'est... ca... sous tes poils... »fit-il en montrant du bout de sa hache les formes de la jeune homine peu cachées par l'armure moyenne.
Tomelin jugea que la gamine était en proie à une intense réflexion vu l'angle de sa tête.
- « Et Grena mettre tétons dans bière...comme les glachons ? Ronron pouvoir faire pareil dans lait ? »
Un silence pesant s'abattit sur la neige molle. Des visions de bière et d'homines dévêtues traversèrent rapidement l'esprit de Tomelin. Celui-ci secoua la tête.
- « Ronron... il va vraiment falloir que nous ayons une discussion sérieuse ! », dit-il.
- « Greuu ! », fit-elle pour seule réponse.
- « Bon ! On va la faire cette gromenade ? », demanda-t-il pour changer de sujet, « euh.... promenade. »
- « Ouaiiiis ! Gromenade ! », cria-t-elle tout en commençant à courir autour de lui, « Et Ronron veut joujou ! Ronron veut miam joujou Staro. »
Tomelin s'élança, le manche de la hache bien en main.
Jena ! Qu'est ce qu'il pouvait détester ce pays. Déjà l'été, c'était un labyrinthe sinueux dont tous les chemins se ressemblaient. Mais alors en hiver, avec la neige...
Ils cherchèrent longtemps le joujou de Ronron, mais la neige et le vent rendaient la tâche difficile.
Le ciel commença à s'assombrir mais cela était trop tôt dans la journée. Le vent se leva un peu plus, forcit puis se transforma en bourrasque. Le rideau de neige devint plus épais, cinglant les visages au point de les rendre rouges. Ronron restait le plus souvent derrière son père, se protégeant un peu des rafales qui plongeaient vers les deux trykers. Il devenait dur pour eux de trouver leur chemin.
Un son cristallin sembla percer de la neige qui tombait. Comme un bruits de clochettes. Tomelin leva la tête vers le ciel puis la secoua. Sûrement des stalactites de glace qui tintaient en haut des arbres.
La bourrasque forcit, elle aussi, pour se transformer en blizzard. La neige tombait drue, en gros flocons.
A nouveau ce son si particulier. Une fois encore, Tomelin leva la tête. Une trouée plus calme dans les rafales, le ciel devint un peu plus clair. Le tryker distingua une longue forme. Il s'arrêta brutalement, se frotta les yeux puis se retourna vers Varixia qui venait de le percuter.
- « Tu as vu la Ptiote ? », demanda-t-il, « là-haut dans le ciel ? »
- « An... Ronron regarder ses papattes ! »
Tomelin reprit sa course. Troublé, il repensa à ce qu'il avait vu.
Une carriole sans roue, posée sur des planches et tirée par des raspals. Dedans, un drôle de personnage au corps presque intangible, grand, bleu, coiffé d'un bonnet rouge ourlé de fourrure blanche.
On ne voyait pas à un mètre. Et finalement c'est Staro qui les trouva et non l'inverse. La rencontre fut brutale, mortelle... quelques minutes d'un combat perdu d'avance, à l'issue inévitable. Rapidement deux corps gisaient sur la neige, des fleurs écarlates éclosant tout autour d'eux. La vie s'écoulait au rythme des goutes de sève qui s'échappaient de leurs blessures.
Dans une vague inconscience rougeâtre, Tomelin distingua à nouveau l'être au bonnet rouge. Celui-ci se pencha vers lui, un grand sourire aux lèvres.
- « Ronron... », murmura d'une voix quasiment inaudible le tryker, avant de partir dans un maelström noir...
...On lui léchait le visage. Il ouvrit doucement les yeux et, petit à petit, le noir fit place à une lumière orangée. Au-dessus de lui, le visage de Ronron, légèrement inquiet, en train de lécher ses joues.
Il se leva lentement, grimaçant de douleur tellement son corps lui faisait mal, s'essuyant au passage les joues abondamment mouillées.
- « Popaaaaa ! », fit la gamine, « Ronron faire léchouilles pour réveiller toi, mais le grand bleu, là, le 'orai choigner nous. »
Tomelin regarda autour de lui. Ils se trouvaient dans une hutte zorai. De l'autre côté, un zorai l'observait, le masque impassible.
- « Lui trouver nous devant sa hutte, Popa ! Lui s'occuper de nous ! », continua Varixia, visiblement excitée.
- « Grytt ! », lâcha Tomelin, accompagnant ses paroles d'un hochement de tête.
Pour toutes réponses, le zorai prit une écuelle, remplit celle-ci d'un ragoût de viande et de légumes fumant et la tendit à Tomelin. Varixia reniflait le plat avec méfiance.
Le tryker mangea en silence, attendant patiemment le temps où il pourrait parler. Il reposa son écuelle, ragaillardi par la nourriture chaude.
- « Merci encore pour votre aide Nair-zorai ! J'ai une question ? »
Un silence que le tryker finit par prendre pour un assentiment.
- « Il m'a semblé entendre des sons surprenants et voir un être tout aussi bizarre ! », déclara Tomelin, tout en décrivant ce qu'il avait vu et entendu, « Peut-être savez-vous ce que c'est ? Ou qui c'est ? »
Le tryker crût distinguer un sourire sous le masque.
- « Tu as croisé un kami, petit être des Lacs, un kami particulier ! L'Esprit de Noël ! », répondit le zorai, avant de se taire.
Tomelin et Varixia attendirent patiemment, sachant que le zorai parlerait quand il en aurait envie.
- « C'est un esprit particulier, qui n'apparaît que très rarement. Un esprit d'amitié et de partage. Et rares sont ceux qui ont pu le croiser ! Tu as eu de la chance petit être ! Une chance indicible ! »
Le zorai se tut à nouveau.
- « Laisses sa puissance et son énergie t'imprégner en cette nuit. », fit le zorai.
Celui-ci se leva, chercha dans un petit coffre et ramena une paire de bottes qu'il plaça devant la porte.
- « Ce soir, tu devras mettre tes bottes devant la porte. C'est une tradition le jour de l'Esprit de Noël. Si ton cœur s'est ouvert à sa puissance, tu auras peut-être un cadeau. »
Tomelin déposa ses bottes, imité par Varixia, plus quand même pour ne pas froisser leur hôte que pour autre chose. Puis ils passèrent une bonne partie de la nuit à discuter de l'Esprit de Noël et de ce qu'il représentait. Ronron somnolait à côté de son père, sa tête sur les genoux de ce dernier. Tomelin caressait négligemment les cheveux de la Ptiote. Puis la fatigue de la journée eut raison de tout le monde et chacun s'allongea pour la nuit.
Tomelin ne dormait pas, perturbé par les évènements. Puis, pris d'une inspiration subite, il tâtonna à la recherche de sa ceinture et dégagea de leur fourreau deux dagues ondulantes délicatement ouvragées. Il se leva discrètement et glissa les dagues dans les bottes du zorai. Puis il se rallongea et finit par s'endormir.
Dans la pénombre, sous le masque, un zorai souriait avant de sombrer lui aussi dans le sommeil.
Le lendemain Varixia se leva la première et poussa un cri de joie.
- « Popaaa, regardes ! Un grubo ! Un grubo de noël ! »
Tomelin écarquilla les yeux et regarda en direction des bottes. Ronron, les yeux brillants, était déjà en train de lécher un yubo vivant, terriblement apeuré, enserré entre ses bras. Puis il regarda vers ses bottes et eut la surprise d'y découvrir une paire de dagues zorai de grande qualité et tout aussi finement ouvragées. Il regarda le zorai qui était en train de sourire.
- « l'Esprit de Noël, petit être ! », fit celui-ci laconiquement, « L'esprit de Noël ! »...
Le tryker sortit de sa rêverie, se rendit compte que son verre était presque sec et décida d'aller se coucher, non sans avoir glisser quelques friandises dans les bottes.
Le reste, c'était l'affaire de quelqu'un d'autre.
Le lendemain, il fut réveillé par les cris de joie de la nombreuse marmaille et des adultes réunis chez lui pour l'occasion. Il se leva, le bonnet toujours vissé sur la tête, enfila un vieux pantalon Ry-Lithen de couleur bleue et rejoignit le groupe. Les enfants battaient des mains et les adultes riaient.
Devant le hublot, les bottes étaient garnies de cadeaux et de sucreries. Il se mêla aux enfants, joyeux, comme il le faisait maintenant depuis cette nuit dans le Pays Malade.
Une chose le turlupinait encore malgré toutes ses années.
Il se demandait comment l'Esprit de Noël faisait pour remplir les bottes dans son appartement submergé...
Un chant d'Atysoël (Shinki, 3ième place ex-aequo)¶
Il est des destins auxquels on ne peut échapper, et qui coulent dans la sève des homins de génération en génération. La fatalité qui devait conduire Aekos Apocaps et Lini Antodera à se battre jusqu’à la mort était de cette nature. Voici le récit d’un conflit ancien, qui déversa un flot de sève sur les anciennes terres, mais qui pourtant vît naître un nouvel espoir à l’aube du Grand Essaim.
A l’époque des faits, Aekos Apocaps était un général en fin de carrière. Il était issu d’une grande lignée de guerriers fyros, de ceux qui ne baissent les yeux devant quiconque, pas même devant la mort en personne. Aekos était un vieux briscard aux tempes grises, au cuir parcheminé et dont les cicatrices rédigeaient l’histoire d’une vie tumultueuse. Ce grand général était d’imposante stature, le caractère rude et redouté de tous. Il se jetait dans la bataille sans ciller, son regard fier et d’un bleu acier transperçant l’ennemi comme une lame. On disait que ses yeux étaient encore plus arides que le désert, car jamais on y verrait couler une larme. Ses soldats étaient prêts à donner leur vie pour lui sans la moindre hésitation, et l’auraient suivi jusque dans l’antre du Grand Dragon si il leur avait commandé.
Lini Antodera, fraîchement promu capitaine de bataillon matis, connaissait fort bien la réputation d’Aekos Apocaps. Ce jeune matis ambitieux sortait d’une adolescence nourrie par les récits de batailles de son père, le Grand Duc Ciero Antodera. Les Antodera étaient une famille de la grande noblesse matis, et vouaient une animosité sans borne à la lignée des Apocaps, sans que personne ne sache plus vraiment où puisaient les racines de cette haine. A la mort du Duc, le jeune Lini se devait de prendre la relève. Son père disait toujours qu’il n’y avait qu’une seule façon décente de mourir pour un Antodera : en croisant la lame avec un Apocaps. C’est d’ailleurs face au général Aekos Apocaps que le Duc avait rendu son dernier souffle, la lame ardente de la stavon dévorant ses entrailles tandis que le regard froid du général transperçait son âme. Devant le cercueil en bois précieux du Duc, Lini se fît la promesse de vaincre Aekos, partagé entre le désir de revanche et la soif de surpasser son propre père.
L’occasion ne tarda pas à se présenter, lorsqu’au début de l’hiver les troupes d’Apocaps firent une incursion en pays matis. Ils ramenaient de Trykoth un contingent de jeunes trykers, afin de les former au combat dans les ruines de Coriolis. A cette nouvelle, les chefs d’armée matis sonnèrent l’alerte. En effet, un précieux convoi dirigé par une tribu zoraï se trouvait alors dans la même région que les troupes du Fyros. Ce convoi transportait une cargaison de goo hautement nocive extraite au cœur de la jungle corrompue, goo qui devait servir aux botanistes matis pour d’obscures expériences. Il fallait à tout prix arrêter les troupes d’Aekos avant qu’elles n’interceptent le convoi délétère. La garnison de Lini ayant établi ses quartiers d’hiver dans la région, le jeune capitaine matis reçut l’ordre d’intervenir au plus vite. Lini Antodera se frotta alors les mains en songeant à la nouvelle arme qu’il venait de mettre au point pour vaincre son ennemi juré.
La famille de Lini avait un talent particulier pour l’alchimie, ils étaient capables de confectionner des philtres aux effets redoutables. La récente trouvaille de Lini était un élixir dérivé de sève de Psykopla, et qui avait pour propriété d’assujettir les esprits. Même si la potion ne permettait pas encore de dompter l’esprit d’un homin, elle était assez puissante pour soumettre des hominoïdes primitifs. Lini avait donc fait capturer une tribu entière de gibbaï afin de tendre un piège à Apocaps. Les créatures velues avaient été parquée non loin du campement, et chaque jour un garde matis leur apportait de la nourriture, après y avoir versé quelques gouttes d’élixir. Le garde matis était aussi doux que possible avec ces êtres pouilleux, afin de gagner leur confiance, et grâce aux effets du philtre les gibbaï devinrent de plus en plus soumis à la volonté des matis. Chaque jour également, un soldat endossait une vieille armure fyros, imprégnée de l’odeur typique de cette race, et brutalisait les créatures afin d’attiser leur haine. Lorsque les troupes d’Apocaps arrivèrent en approche de la Gorge Moussue, les bêtes capturées étaient conditionnées pour faire un massacre. C’est alors que le convoi zoraï, prévenu par un éclaireur, vint se réfugier dans l’avant-poste matis. Lini fit part de son plan au chef de tribu zoraï, Fuan, une espèce d’illuminé qui en profita pour souffler à Lini quelques judicieux conseils.
Aekos Apocaps n’aimait pas passer par la Gorge Moussue, ses troupes y étaient vulnérables. Mais en ce début d’hiver il n’y avait pas d’autre route praticable. Des nuages anthracites s’étaient abattus sur eux comme une chape de plomb, et la neige se mit à tomber de plus belle, cinglant le visage endolori des soldats. C’est alors que de menaçantes silhouettes noires se découpèrent en face d’eux, leur barrant le passage. Aekos jeta un œil en arrière : trop tard !… d’autres ombres leur coupaient tout retraite. Il allait falloir se battre, et ce terrain neigeux n’était pas propice aux Fyros et Trykers qui l’accompagnaient…
Quelle ne fut pas la stupéfaction des troupes d’Aekos lorsqu’elles virent déferler sur eux une horde de gibbaï purulents, recouverts de cloques violacées. Quelle pestilence avait donc pu frapper ces sauvages?… De la goo, ce ne pouvait être que ça. Leur force et leur fureur s’en trouvait décuplée. Telle était l’œuvre de Fuan, le manipulateur de goo, qui avait mis une touche finale et sordide au plan de Lini en contaminant ses créatures. Les soldats fyros et trykers se débattaient face aux bêtes informes, submergés par un flot de griffes acérées et de morsures infectes. Ce n’est qu’au prix de maints efforts qu’ils finirent par prendre le dessus sur ces immondes sauvages tout droit sortis de l’enfer.
Tandis que la plupart des gibbaï gisaient dans la neige tachée de sang, et qu’Aekos croyait ses troupes sorties d’affaire, Lini Antodera sonna la charge et un bataillon entier de matis, auquel se mêlait quelques zoraï, fondit sur la légion affaiblie du vieux général. Les armes des homins s’entrechoquèrent en un fracas plus violent qu’une pluie de grêlons. Aekos pesta contre les méthodes sournoises de son ennemi, et malgré la fatigue il se mit à trancher du matis en une valse énergique, faisant virevolter sa stavon qui laissait une traînée de braises à chaque coup porté. Lini se fraya un chemin dans la foule belligérante, à la recherche de son ennemi juré. Lorsqu’il arriva à proximité du général Aekos, le visage de Lini se fendit d’un rictus et ses yeux se mirent à briller d’un éclat sinistre. Lini pointa sa lance en direction d’Aekos, comme pour le défier. Mais le général fyros avait l’air subitement perdu, ne prêtant même pas attention à Lini, il semblait chercher vainement quelque chose au milieu de ce fatras de corps disloqués qui jonchaient la gorge.
Le sang de Lini ne fit qu’un tour : « J’aurai ta peau, vieux fou ! ». Alors que Lini se jetait sur Aekos, le visage du général, occupé à d’autres pensées, s’illumina soudain. Sans même chercher à éviter la lance de Lini, Aekos arrêta d’un revers du bras l’épée d’une de ses recrues tryker qui s’apprêtait à pourfendre un des gibbaï encore en vie. L’épée ondulante entama durement le brassard du général, et le sang se mit à suinter le long de la lame, mais Aekos ne broncha pas. Stupéfait, le jeune tryker resta pétrifié sur place, à l’instar de Lini que la surprise avait figé dans sa course. Pourquoi s’inquiéter de la vie d’une de ses immondes créatures, au risque d’y perdre un bras ? L’onde de stupeur se propagea et peu à peu les combattants des deux camps s’interrompirent. Le général grommela de sa voix grave :
« Ecoute… »
Au pieds du général gisait un des primitifs, à peine sorti de l’enfance, qui serait contre lui la dépouille purulente d’un des siens. De ce petit corps misérable s’élevait un chant, tout d’abord couvert par le vacarme de la bataille, mais qui résonnait de plus belle tandis que le combat s’éteignait. Le chant de ce jeune gibbaï était si pur et si intense, que jamais de mémoire d’homin on avait entendu pareille grâce. La complainte s’éleva jusqu’à emplir la gorge d’une troublante harmonie. C’est alors que les nuages gris, comme en réponse à une prière, se déchirèrent pour déverser un flot de lumière pâle sur les homins abasourdis.
« C’est un chant d’Atysoël !…» s’exclama Aedan, le jeune tryker.
« Mais enfin… comment cette bête… pourrait… » rétorqua Lini, désemparé. Comment pareille beauté pouvait naître d’une créature aussi laide et grotesque ? Aucun palais, aucun bijou ne pouvais rivaliser avec la magnificence d’un tel chant. A son écoute, le soldat le plus endurci devenait aussi inoffensif qu’un enfant. Toute haine semblait avoir disparu.
Lini dévisagea Aekos, dont les yeux humides brillaient sous les rayons du soleil d’hiver. Des larmes. Il avait fallu une vie entière pour que des larmes naissent dans ces yeux. Une vie passée à repousser la mort en attendant une révélation. Le vieux général s’inclina et déposa sa stavon ardente aux pieds de l’hominoïde. Puis il se redressa et murmura :
« Je l’ai connu. Merci… Aujourd’hui je suis prêt à mourir… »
Lini s’avança en direction du général, sa lance vivante à la main, et déclama :
« Je suis Lini Antodera, fils du Grand Duc Ciero Antodera, venu en ce lieu pour prendre ta vie. »
C’est alors qu’à la surprise de tous, Lini déposa sa lance sur la sol, puis tourna les talons et s’éloigna du champ de bataille. Ainsi, peu à peu chaque soldat, quel que soit son camp, imita le geste des deux héros et déposa son arme en offrande à la créature, comme un signe de paix. Fuan le zoraï enjoignit les siens d’administrer les premiers soins aux gibbaï encore vivants, afin de les soulager des blessures et de la goo qui rongeait leurs chairs.
En ce jour d’hiver, sur une écorce blanche et rouge, un simple chant d’Atysoël émanant d’une créature improbable avait su rappeler aux homins la force du lien qui les unis sur Atys. Ce jour de pardon avait semé les graines d’un nouvel espoir, une entente qui permettra plus tard aux homins de s’unir sous une même bannière face à la déferlante kitin et de fonder le mouvement que l’on appellera : la Force de la Fraternité.
Comments
Added by siel almost 15 years ago
Bonsoir
J'ai eu du mal à tout lire en jeu, mais la j'ai pris le temps de lire celle de Tomelin, papa de la Ptiote Varixia Ronron :p
Super, bien écrit, facile à lire, j'ai beaucoup aimé.